Depuis votre dernier projet Ă  l’Ircam en 2011 â€“ dans le cadre du Cursus 2 Composition et informatique musicale â€“ vous n’avez pas Ă©tĂ© inactif : vous avez fondĂ© l’ensemble L’Imaginaire, dont vous avez assurĂ© la direction artistique, vous avez Ă©crit une quinzaine d’œuvres et vous avez menĂ© des recherches en composition et musicologie en France et au Royaume-Uni. Comment tout cela a-t-il nourri votre rĂ©flexion compositionnelle ?

Depuis mon sĂ©jour Ă  l’Ircam et jusqu’à aujourd’hui, mon attention s’est de plus en plus focalisĂ©e sur les origines du son Ă©lectronique. C’est pour moi un questionnement Ă  la fois philosophique et musical qui s’est nourri de mes lectures mais aussi de l’écoute et de l’approfondissement de ma connaissance du rĂ©pertoire Ă©lectroacoustique. Pour moi, il existe une « identitĂ© timbrale Â» du son Ă©lectronique, que j’utilise de façon narrative. Et si la question du son, en musique Ă©lectronique, est habituellement abordĂ©e d’un point de vue technique et empirique, je pense quant Ă  moi que cette pratique doit ĂŞtre intĂ©grĂ©e Ă  une rĂ©flexion sur l’historique de cette matière sonore, en la pensant comme le fruit de choix et d’hypothèses de travail. Mais ce regard historique nĂ©cessite une prise de conscience active. J’ai donc voulu construire mon propre parcours au sein de ce son et de son histoire, en Ă©laborant mes propres outils, Ă  la fois techniques et thĂ©oriques (au sens d’une « pensĂ©e musicale Â»). Je me suis ainsi trouvĂ© face au besoin de dĂ©finir « mon son Ă©lectronique Â», exactement comme je me trouverais dans la situation de trouver « mon son de piano Â». Ă€ cet Ă©gard, la musique mixte m’intĂ©resse doublement car elle existe au contact de deux mondes sonores assez diffĂ©rents. Elle prĂ©sente des difficultĂ©s similaires Ă  celles que l’on peut rencontrer dans l’orchestration ou dans l’écriture d’un quintette avec piano, par exemple.

Avez-vous rĂ©ussi Ă  bâtir une telle pensĂ©e de la musique mixte ? 


Oui. Selon moi, la musique mixte est proprement transformationnelle. Je m’explique. Je pars du constat qu’il est très difficile de gĂ©nĂ©raliser dans le domaine de la musique. Ce que, plus humblement, je me suis proposĂ©, c’est utiliser la composition pour explorer un espace sonore qui m’habite et que j’habite. La composition est pour moi un acte performatif qui se nourrit du contexte et est irrĂ©ductible Ă  ses seuls Ă©lĂ©ments linguistiques. Or, la composition d’une musique mixte est caractĂ©risĂ©e par un ensemble d’actes. J’ai rĂ©cemment dĂ©couvert la pensĂ©e de Susanne Langer, grande philosophe de la musique, et je suis arrivĂ© Ă  la conclusion que l’activitĂ© du compositeur revient Ă  transformer symboliquement la rĂ©alitĂ© sonore, de manière implicite, Ă  travers la musique. Nous autres, ĂŞtres humains, crĂ©ons ainsi : les symboles ne sont pas fixĂ©s une fois pour toutes, ils sont chaque fois rĂ©investis, rĂ©instanciĂ©s, par chacun de nous, et la musique serait selon elle la mieux Ă  mĂŞme de reprĂ©senter ce niveau prĂ©-linguistique. Ă€ cet Ă©gard, la musique mixte serait ce lieu unique oĂą la tradition instrumentale est transformĂ©e par les moyens Ă©lectroacoustiques tandis que, dans le mĂŞme temps, la musique mixte elle-mĂŞme doit adapter ses moyens aux nĂ©cessitĂ©s des Ă©critures instrumentales.
Ainsi, la musique mixte est transformationnelle et c’est donc sur elle qu’on doit agir en premier. L’acte compositionnel est avant tout affaire de choix. Mais ce choix doit se faire aussi en conscience â€“ de l’histoire de l’outil, notamment. Je me rends de plus en plus compte que composer, c’est poser sur des bases qui ne sont pas toujours nĂ´tres : cela signifie aussi interprĂ©ter, voire rĂ©interprĂ©ter, c’est entrer en relation avec une Ă©coute et une expĂ©rience musicale qu’il s’agit de mobiliser. Mon approche est alors hermĂ©neutique et cela s’applique Ă  ma pensĂ©e de la musique mixte. Cela suppose de dĂ©construire ce que l’on croit savoir et d’écouter de la musique Ă©lectronique, le plus possible, d’écouter les Ĺ“uvres oĂą les sons qu’on veut utiliser ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© utilisĂ©s, de les comprendre et d’en saisir les problĂ©matiques esthĂ©tiques. DĂ©velopper une conscience des nĂ©cessitĂ©s compositionnelles, des savoirs de la musique Ă©lectronique, des familles d’instruments Ă©lectroniques et de leurs histoires respectives. Revenir aux sources du son Ă©lectronique, ses sources historiques comme technologiques, de mĂŞme qu’aux sources de son sens. Cela m’a pris des annĂ©es.

OĂą se situe la poĂ©tique dans ce contexte ?

Dans la mise en relation entre les sons â€“ laquelle mise en relation dessine peu Ă  peu une figure, une image, une narration. Je suis très excitĂ© Ă  l’idĂ©e que ces connexions soient très instinctives, qu’elles procèdent d’une forme de non-dit, que je ne veux ni masquer ni expliciter.

D’oĂą un paradoxe apparemment assumĂ© dans votre discours : Ă  la fois une grande rĂ©flexion, et un moment dĂ©libĂ©rĂ© d’impensĂ© au moment du choix. Repensez-vous donc a posteriori cet impensĂ© ?

Oui. Je pose des mots dessus. La musique même permet de penser. Composer est un acte réflexif. Et cette analyse pour moi passe par la réécriture. Inlassable.
Lorsque je compose, j’écris une première fois, puis je réécris Ă  nouveau la mĂŞme chose, sur la mĂŞme partition... Je repars toujours du noyau de dĂ©part, Ă  partir de quoi j’essaie de comprendre la sĂ©quence que j’ai imaginĂ©e. Ce qui me permet d’écrire ce qui prĂ©cède et ce qui suit â€“ et la pièce se bâtit ainsi de manière symĂ©trique, vers l’amont et vers l’aval. Cette mĂ©thode de travail est d’ailleurs admirablement adaptĂ©e Ă  l’outil informatique : on peut réécrire un mĂŞme passage mille fois !

Il y a donc un noyau de la pièce.

Oui, un noyau poĂ©tique, musical. En l’occurrence, dans le cas de Comme le vent c’est nu c’est de l’encre, il s’agit d’un enregistrement d’un son naturel : du vent. Le vent est un son intĂ©ressant et riche, qui charrie en outre tout un ensemble de sensations impliquant directement le corps dans son entier. Ce qui m’intĂ©resse, c’est cette Ă©nergie naturelle, le fait que le vent passe, ne revient jamais Ă  l’identique â€“ la pièce elle-mĂŞme est une forme en devenir, sans reprise, sans jeu musical. J’essaie d’abattre le musical pour m’inscrire dans ce que j’imagine de ce processus naturel.
À l’origine du discours électronique, il y a donc des enregistrements réalisés en extérieur. Auxquels je superpose ensuite des sons de synthèse, jusqu’à aller, par associations d’idées, vers de la synthèse numérique pure et dure, qui peut ou non évoquer le vent.

Comment articuler ce discours Ă©lectronique avec l’ensemble instrumental ? 


Dans les faits, j’écris d’abord l’électronique. Dans le même temps, je prends quelques notes concernant la partie instrumentale, mais celle-ci ne sera réellement fixée qu’après.

N’est-ce pas inhabituel ?

Pas tant que cela. C’est ce qu’a fait par exemple Karlheinz Stockhausen pour Kontakte, qui reste selon moi l’une des plus grandes rĂ©ussites du rĂ©pertoire mixte. Quand on regarde les choses en face, l’être humain est bien plus souple que la machine : un violoniste arrivera assez facilement Ă  imiter un son Ă©lectronique si je le lui demande. En revanche, la machine aura beaucoup plus de mal Ă  imiter un violoniste ! J’écris donc l’électronique, puis je la fais Ă©couter aux musiciens avec lesquels nous discutons de la pièce, et je m’inspire de leurs propositions, nourries par leur profonde connaissance de leurs instruments respectifs. Et on parvient Ă  un rĂ©sultat dont je serais bien incapable seul.
Par ailleurs, cela me laisse une certaine libertĂ© pour dĂ©velopper davantage certains aspects de l’électronique. Au cours de mes Ă©tudes de composition au conservatoire en Italie, nous apprenions notamment Ă  Ă©crire des lieder. Je me souviens que l’un de mes maĂ®tres, issu de cette Ă©cole napolitaine Ă  l’écriture si complexe et aux harmonies si denses, prĂ©fĂ©rait souvent Ă©crire la partie de piano avant la voix. Ainsi la mĂ©lodie venait comme « Ă©pouser Â» la partie de piano. C’est ce que je fais entre Ă©lectronique et instrumental.

Vous partagez le programme avec l’un de vos compatriotes, Pierluigi Billone et le regrettĂ© Emmanuel Nunes : que vous inspirent leurs voisinages ?

J’avoue que, si je connais bien la musique de Pierluigi Billone, je ne le connais pas personnellement. Ce sera l’occasion de discuter de nos points communs qui, j’en suis sĂ»r, sont nombreux. Quant Ă  Emmanuel Nunes, je suis très heureux d’entendre ma musique avec la sienne. Je n’ai jamais Ă©tudiĂ© avec lui, mais je l’ai connu ici Ă  l’Ircam. Nous nous sommes aussitĂ´t très bien entendus : c’était un intellectuel fascinant, riche de nombreuses rĂ©fĂ©rences philosophiques. Je sais qu’il a Ă©crit sur Husserl, par exemple. Nous nous sommes revus par la suite, pour parler de musique et d’autres choses. J’adorais sa manière Ă  la fois très mĂ©thodique et très dĂ©sordonnĂ©e de procĂ©der. C’était un vĂ©ritable visionnaire Ă  certains Ă©gards.
Nos musiques sont très diffĂ©rentes l’une de l’autre, mais je crois qu’on peut y entendre des prĂ©occupations communes, comme la spatialisation. J’ai d’ailleurs, dans Comme le vent c’est nu c’est de l’encre, mis en pratique certaines de ses idĂ©es sur le sujet â€“ des idĂ©es dont Éric Daubresse parlait d’ailleurs lors de ses dĂ©monstrations de spatialisation sonore. En effet, dans ma pièce, l’ensemble est diffusĂ© en trois dimensions dans l’espace en temps rĂ©el, avec une certaine dramaturgie...

©Ircam-Centre Pompidou

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