La pièce est généralement interprétée par 4 pianos, version dans laquelle elle a été créée.
Le 22 janvier 1991, le critique Kyle Gann annonçait le décès de Julius Eastman dans l’hebdomadaire new-yorkais The Village Voice. Le musicien était mort le 28 mai 1990. Entre ces deux dates, huit mois d’un silence assourdissant, sinistre coda d’une vie chaotique. Souvent sans domicile à partir de 1982, Eastman avait perdu ses manuscrits, détruits ou dispersés. À l’époque, être comme lui Afro-Américain et homosexuel, c’était cumuler les obstacles. Mais depuis une vingtaine d’années, Mary Jane Leach et Renée Levine Packer œuvrent à sa réhabilitation, relayées en France par Jean-Christophe Marti, auteur en 2021 d’une thèse sur laquelle se sont appuyés l’ensemble Links et Rémi Durupt.
Il n’est en effet pas facile de s’orienter dans Evil Nigger, noté sans instrumentation, sans barres de mesure, sans valeurs rythmiques (elles sont remplacées par des indications chronométriques). En novembre 1979, la pièce est entendue pour la première fois, dans une version à quatre pianos, au sein du ballet Bushes of Conduct du chorégraphe Andy DeGroat. Le compositeur la donne avec ce même effectif le 16 janvier 1980, à la Northwestern University d’Evanston (près de Chicago), lors d’un concert qui voit la création du triptyque Crazy Nigger, Evil Nigger et Gay Guerrilla. Eastman déclare alors qu’il est possible de jouer Evil Nigger sur n’importe quel instrument. Si l’on décide de l’exécuter sur des instruments mélodiques, il faudrait en rassembler de dix à dix-huit. Fait-il référence, consciemment ou non, à Music for Eighteen Musicians ? En 1977, l’œuvre de Reich avait fait l’objet d’un enregistrement live à The Kitchen, épicentre de l’avant-garde new-yorkaise dont Eastman était un habitué.
Abondance de notes répétées dont émergent des motifs de quelques notes, langage tonal ou modal, évolution lente : on reconnaît là le socle du minimalisme. Mais ici, ces idées se doublent d’une frénésie aussi hypnotique qu’agressive, aussi provocatrice que les titres du triptyque. Lors du concert du 16 janvier 1980, sous la pression d’Afro-Américains l’accusant de racisme, Eastman avait renoncé à les imprimer sur le programme. Mais il s’était adressé au public, dans une allocution qui a été enregistrée : « Ce que j’entends par ‘‘nigger’’ est ce ‘‘quelque chose’’ qui est fondamental, cette personne ou cette chose qui atteint un niveau d’être essentiel, un niveau d’être fondamental, et qui évite tout ce qui est superficiel, ou, si on veut, élégant. Donc, un ‘‘nigger’’ pour moi, est cette sorte d’être qui atteint lui-même ou elle-même le fondement de toute chose. » Refusant le pathos et le politiquement correct qui ripoline la réalité, il porte un regard sans concession sur sa condition.
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